Plan de relance et bonne gouvernance !
J’ai failli tomber de ma chaise récemment en lisant l’interview d’Elio Di Rupo dans le Soir.
« Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ».
Cette phrase proverbiale est utilisée à propos de quelqu’un qui se dispense d’appliquer les conseils qu’il donne à autrui.
Le conseil d’Elio Di Rupo : « Je crois que le prochain gouvernement devra faire converger les efforts vers les projets prioritaires, sans vouloir tout faire partout ».
Un comble quand on sait comment se déroule le Plan de Relance Wallon depuis son lancement en octobre 2021 !
Au-delà du Plan de Relance, de manière plus générale, il manque en Wallonie une culture d’évaluation de l’efficacité des dépenses publiques, quel que soit le domaine, le secteur, l’outil. Elio Di Rupo, dans cette phrase, acte l’absence d’évaluation préalable et refile l’évaluation et ses conséquences au prochain gouvernement. Il laisse aussi entendre que certains projets actuellement financés seront interrompus : on cultive une gabegie que l’état des finances wallonnes ne permet pas. Reconnaissons aussi qu’il est aussi normal de se rendre compte en cours de route qu’un projet n’est pas bon, qu’on s’est trompé en le lançant, ou que des circonstances en cours de projet changent la donne, et qu’il est plus raisonnable de l’arrêter, en actant une perte. Les entreprises sont aussi parfois confrontées à ces choix difficiles.
Je ne peux être taxé de position « électoraliste » dans les arguments développés ci-dessous, car dès 2021, je n’ai jamais cessé de hurler au loup concernant le saupoudrage, le gaspillage et le manque de retour de nombreux projets de ce plan.
Commençons cependant par être de bon ton : il y a de nombreux excellents projets dans ce plan, qui auront un effet de levier sur le développement de la Wallonie, génèreront un retour sur investissement, créeront des emplois et de la valeur ajoutée, contribueront à la transition environnementale, etc. Et dans les organismes publics, administrations et cabinets, de nombreuses personnes mouillent leur maillot, à fond, pour faire réussir certains projets porteurs, au bénéfice de la Wallonie, et des parties prenantes de ces projets (entreprises, associations, enseignement, aides à la personne, secteur de la santé), au sein desquelles de nombreux collaborateurs donnent le meilleur d’eux-mêmes pour tirer la quintessence des fonds alloués à des projets qui seront bénéfiques.
Et la Wallonie a de nombreux atouts pour se redresser : des entreprises de renom, des entrepreneurs ambitieux, des collaborateurs performants, des universités et centres de recherche à la pointe, un territoire bien situé où il reste de l’espace pour le développement, etc.
Mais ! Car il y a de nombreux « mais ».
Il a d’abord fallu secouer le cocotier : « Il y a une absence de stratégie globale, il manque une vision transversale. Il suffit de voir la façon dont les budgets du plan sont répartis entre partis politiques. Le gouvernement a préféré la clé D’Hondt plutôt que la clé du succès », disais-je alors (L’Echo du 1er décembre 2021).
À la suite de cette « mini-révolte », le Gouvernement wallon a accepté de revoir sa copie, et une liste de 42 projets prioritaires (parmi 350 au total) a été établie avec les partenaires sociaux.
Mais parmi les projets non prioritaires, très peu ont été supprimés, alors que, comme je l’ai souvent répété, nombre d’entre eux sont inutiles, ou représentent des projets de dépenses classiques, peu porteurs.
Certes, l’IWEPS a annoncé que les gains de productivité générés par le plan pourraient engendrer à l’horizon 2030 une hausse du PIB wallon de 0,7%. Sur un financement de 7,2 milliards, il ne manquerait plus que cela !
Les dérives se constatent à plusieurs niveaux.
D’abord en termes de suivi de projets. Il a fallu batailler ferme pour obtenir des méta-objectifs et des indicateurs de résultats, sur lesquels évaluer les projets. Le suivi de ces projets reste encore trop souvent axé sur des indicateurs très vagues ou non pertinents, par exemple axés sur la ligne du temps (un projet est « démarré » dès qu’il y a une note au Gouvernement, et donc parfois loin d’être lancé) ; des avancements sont parfois actés sur base d’un transfert financier vers un porteur de projet externe (commune, OIP, …), sans que celui-ci n’ait nécessairement engagé des dépenses ; et il y a parfois un manque de transversalité, générant notamment des incohérences entre les appels à projets.
Ensuite en termes de transparence : quelle est la communication faite aux citoyens ? si le site web du plan de relance fait la part belle aux images, on reste sur sa faim quant aux chiffres (l’aspect financier se limite aux montants prévus de manière globale et par catégorie de projets, et non par projet, mais pas aux montants engagés ou dépensés), et à l’état d’avancement (une multitude de projets ont pour seuls indicateurs le nombre de projets déposés suite à un appel d’offre, le nombre de projets financés, le nombre de chercheurs engagés, soit des indicateurs de moyens et non de résultats).
Et enfin, et surtout, en termes de responsabilité. Car, outre les travers évoqués ci-dessus, une bonne partie des projets vont engendrer des dépenses récurrentes (notamment de personnel, avec l’engagement de nombreuses personnes en CDI) après la fin de leur financement par l’Europe ou par les emprunts contractés par la Wallonie. Elles viendront donc alourdir la barque des dépenses annuelles, que le Gouvernement wallon n’a pas suffisamment réduites pendant cette législature, ne tenant pas compte, entre autres, des coûts récurrents additionnels engendrés à terme. D’où le constat d’Elio Di Rupo que le prochain gouvernement devra, lui, faire converger les efforts vers les projets prioritaires.
Et c’est là que je bondis : refiler la patate chaude au suivant, est-ce de la bonne gouvernance ? Non évidemment !
Comparaison n’est pas raison, mais dans le secteur privé, ceci ne pourrait pas se produire.
Le Conseil d’Administration (càd le Parlement) devrait valider tout plan d’investissement proposé par le Comité Exécutif (càd le Gouvernement), en mesurant les impacts business et financiers sur le long terme, puis suivre l’avancement plusieurs fois par an, avec demandes éventuelles de réorientation, etc. Et une fois par an, le Conseil d’Administration devrait rendre des comptes à l’Assemblée Générale des actionnaires (càd les électeurs), et, on peut rêver, leur donner ou pas décharge pour l’année écoulée.
Je me permets de suggérer quelques améliorations pour la prochaine législature, notamment en calquant celles-ci sur les principes appliqués dans le privé.
Gouvernance :
- Exiger une approbation parlementaire à la majorité simple pour tout plan de dépenses pluriannuel, au-delà d’un certain montant défini, qui s’inscrit dans le cadre d’une seule législature, garantissant ainsi que ces dépenses soient alignées avec les priorités budgétaires actuelles et les capacités financières immédiates du gouvernement ;
- Imposer une approbation parlementaire à la majorité qualifiée pour les plans de dépenses pluriannuels qui s’étendent au-delà de la législature en cours, assurant une évaluation plus rigoureuse et un consensus plus large pour des engagements financiers de longue durée et d’envergure ;
- Instituer un mécanisme de revue et d’évaluation annuelle pour tous les plans d’investissement pluriannuels, afin de surveiller leur progression et leur adéquation avec les objectifs budgétaires initiaux et les priorités stratégiques ;
- Renforcer les mécanismes de suivi et d’évaluation pour assurer la transparence et l’efficacité des dépenses publiques, et ajuster ou interrompre les projets non performants ;
- Adopter une approche à long terme dans la planification budgétaire, en tenant compte des impacts futurs des dépenses actuelles, pour garantir la durabilité des finances publiques ;
- Mettre en place des procédures d’évaluation par des panels indépendants (à tout le moins où siègent toutes les formations politiques du Parlement et des experts).
Orientation des investissements publics :
- Optimiser les dépenses en évaluant systématiquement l’efficacité et la rentabilité des projets publics AVANT de les approuver, en tenant compte des impacts sociaux, économiques et environnementaux à long terme ;
- Mettre en place un cadre de suivi et d’évaluation robuste pour mesurer l’impact et l’efficacité des investissements publics, afin d’ajuster les stratégies en conséquence ;
- Intégrer des critères sociaux, environnementaux et économiques dans les décisions d’investissement pour assurer un développement durable et équilibré à long terme.
Maîtrise de l’endettement :
- Mettre en place une stratégie de gestion de la dette à long terme, incluant des objectifs clairs de réduction du ratio dette/PIB, pour assurer la soutenabilité budgétaire ;
- Imposer des limites strictes à l’endettement des nouvelles initiatives gouvernementales, en s’assurant que chaque nouvel emprunt est justifié par un retour sur investissement clair et tangible ;
- Modifier la Constitution et les Lois spéciales qui régissent les Entités fédérale et fédérées, afin de garantir un niveau maximal d’endettement au-delà duquel il ne sera plus possible d’aller, sans un accord préalable du Parlement à la majorité spéciale